Europe, l’exemple grec

Un petit article politique pour changer. Cette fois-ci, on ne va pas parler d’une mouvance mais du Canada et de ce que j’estime être ses impasses actuelles. Je pense que l’exemple albertain en est le meilleur révélateur. Pourquoi l’Alberta ? Tout simplement parce qu’elle serait possiblement sur le point de réfléchir sérieusement à se séparer du Canada — sauf si elle gagne au casino, hahahah, et qu’elle paye ses dettes; elle pourrait toujours utiliser le même site que moi pour gagner. Bon, fini les blagues, car il est probable que l’on ne se rend pas compte de l’importance d’un tel geste. Il s’agirait probablement même d’un geste symbolique qui pourrait signifier la fin du Canada tel qu’on le connaît.
Reprenons, pour commencer, la définition du Canada par Wikipédia : le Canada est un État fédéral d’Amérique du Nord composé de dix provinces et de trois territoires, monarchie constitutionnelle et démocratie parlementaire, qui coordonne les politiques publiques en répartissant, par la Constitution, l’exercice de certaines compétences entre Ottawa et les provinces. La fédération est structurée par des textes fondamentaux : la Loi constitutionnelle de 1867 (anciennement l’Acte de l’Amérique du Nord britannique), le Statut de Westminster de 1931 et la Loi constitutionnelle de 1982. Le Canada est en quelque sorte une union politique et économique englobant de « vieux » territoires et des régions plus récentes. C’est un symbole : celui de l’amitié entre les peuples et de l’avancée ensemble …
J’écris cela en n’y croyant qu’à moitié. Je n’ai jamais cru plus que cela au projet canadien. Son but était simple : rassembler, fédérer, faire contrepoids à l’influence des États-Unis. Si je devais donner un but, il serait plutôt économique. L’économie me passionne toujours, alors je serais tenté de dire que c’est bien : on a renforcé la libre circulation des biens, des capitaux et, en principe, de la main-d’œuvre entre provinces, et on a multiplié les accords commerciaux. Toutefois, ces dernières années nous ont montré l’envers du décor : déséquilibres régionaux persistants, tensions autour des transferts, et quant au contrepoids face aux États-Unis, ce n’est pas le commun des mortels qui en profite mais souvent les places boursières qui spéculent sur le dollar canadien et sur les matières premières. Ceci dit, la hausse du coût de la vie a été un vrai choc pour le bas peuple : les prix ont grimpé un peu partout. Bon, c’est moche et en plus il y a eu des crises successives, alors pourquoi radoter. Comme diraient certaines personnes : on s’est bien fait avoir, mais sortir du Canada ne serait pas bon car trop coûteux. Oui mais… pas forcément. Aïe, ça va piquer, mais c’est là que l’Alberta entre en jeu.
L’Alberta voudrait partir du Canada… Hérésie ? En fait, dans son cas, certains pensent que ce serait même un pari calculé, mais revenons-en au pourquoi je me pose la question.
J’ai lu ceci aujourd’hui. Si vous souhaitez mieux connaître l’Alberta, il y a ce lien sur Wikipédia. Alors pourquoi l’Alberta déciderait de partir du Canada ? En fait, c’est à la fois simple et complexe. La volatilité de ses revenus liés aux ressources et le sentiment d’injustice face au régime de péréquation pèsent lourd. Le problème, c’est qu’une province ne contrôle ni sa monnaie ni sa politique monétaire. Donc pas possible de dévaluer sa devise pour alléger le fardeau en période de vaches maigres. Jusqu’à présent, dans un État souverain, on pouvait jouer sur la monnaie pour s’en sortir en temps de crise. Un petit coup de planche à billets, puis l’histoire passait; quelques années après, on réévaluait. Ça coûtait de l’argent, mais l’État gérait lui-même sa finance. Ce n’est bien sûr pas à la portée d’une province aujourd’hui.
Si vous avez bien lu ce que j’évoquais plus haut, vous aurez perçu le désespoir qui affleure. Personnellement, je l’interprète ainsi : le ministre fédéral des Finances ne croit pas à une séparation de l’Alberta. En fait, il n’y croit pas officiellement, mais on pourrait parler de nervosité. Un effet de contagion, avec d’autres provinces de l’Ouest qui hausseraient le ton à la clé, serait mauvais, voire fatal pour l’unité canadienne. Clairement, dire que ce serait grave me semble réaliste. D’ailleurs, la Saskatchewan suivrait rapidement, si on se fie aux frustrations déjà exprimées à l’Ouest.
Embêtant, et là on attaque le cœur du problème. L’Alberta porte un modèle économique très dépendant des hydrocarbures, avec, en face, des contraintes réglementaires et un environnement fédéral perçu comme hostile sur certains dossiers (projets d’oléoducs, évaluations environnementales, moratoires, décisions de juridictions voisines). En réalité, c’est plus que cela : la province a le sentiment de se faire dicter le tempo par des cadres nationaux qui ne reflètent pas toujours ses priorités. Pas grave, vous pensez ? Vous êtes loin du compte. Pour beaucoup de familles, ce genre d’entraves concrètes aux projets économiques compte davantage que la valeur du dollar face au billet vert.
Bref, nonobstant un enjeu de taille dans la répartition des recettes et des compétences, on se retrouve avec un autre problème : le système public provincial. Les mesures de rigueur budgétaire, les gels ou compressions, font des mécontents. À parler de mécontents, on pourrait même dire que les travailleuses et travailleurs du public subissent une pression croissante. Comme d’habitude, on dira que le petit peuple trinque. Le petit peuple, c’est également celui qui vote, mais ça on ne le dira pas. Prenez tout cela et vous aurez un cocktail détonant. Pourquoi l’Alberta sortirait du Canada ? Parce que la philosophie fédérale ne lui conviendrait plus, que le carcan économique est jugé difficile à supporter, mais surtout parce que sa population a l’impression de payer les contre-coups de crises qu’elle n’a pas choisies.
Il ne faut pas se leurrer, l’exemple albertain est typique de ce qui pourrait arriver à l’avenir si rien ne bouge. Après tout, pourquoi payer — via les transferts et mécanismes fédéraux — pour des infrastructures ailleurs quand on doit déjà se serrer la ceinture chez soi ? Pourquoi accepter des règles nationales qui semblent avantager certaines régions au détriment d’autres ? Ce sont des questions qui, si elles restent sans réponse, finiront par fissurer le projet canadien.